Etre sociologue en entreprise ou dans un cabinet d’études sociologiques

Etre sociologue en entreprise ou dans un cabinet d’études sociologiques

La sociologie des organisations notamment représentée en France par des auteurs comme Michel Crozier a contribué à insérer le savoir sociologique dans les années 1960 au sein de l’entreprise. Mais une évolution du marché du travail a aussi décloisonné les frontières. On voit émerger des cabinets d’études sociologiques dans le secteur privé.

 

Sommaire

La sociologie et l’entreprise

Ce décloisonnement a permis d’offrir un nouvel espace de travail aux sociologues. De ce fait, on observe une posture différente entre le sociologue académique et le sociologue qui exerce dans le milieu privé, notamment en entreprise.

Interrogé pour la revue Sciences Humaines, Pierre Crozier souligne cette différence :

« Le sociologue, rappelle-t-il, vise la compréhension des organisations et sa modélisation. Parce qu’il est lié contractuellement à l’entreprise dans laquelle il intervient, le consultant doit, lui, remplir des objectifs concrets (augmentation de la productivité, conduite d’un processus de changement, par exemple). Si la sociologie nourrit l’approche du consultant, elle n’est pas une méthode de conseil. Efficace dans le diagnostic, elle ne fournit pas de levier d’action. »

 

Le sociologue : en bureaux d’études sociologiques, à l’université

 

Pour d’autres comme Baron, il s’agit de distinguer d’une part une logique d’action et d’autre part une logique du savoir :

« Eclairer les espaces de dialogues entre chercheurs et consultants pose la question du rapport entre la logique de l’action et la logique du savoir : « comment être au balcon et dans la rue » ? Le sujet pourrait être rapidement clos à la seule considération des finalités poursuivies. Les chercheurs répondent à une « commande » d’intérêt général et produisent des biens intellectuels non commercialisés, au profit de tous. Pour certains même, « la création d’une science n’est pas et ne peut pas être une réponse à quelque intérêt pratique que ce soit » (cité par Jullien, 1993). Les consultants répondent à un client particulier, dans le cadre de contrats commerciaux qui « aliènent » aussi bien le choix et la définition des objectifs de leur travail que les résultats. Pour autant, le débat est bien là, même si, et c’est en soi significatif, ce sont des chercheurs qui s’expriment, presque jamais les consultants. »

(Source : Baron, Xavier. « Quels dialogues entre chercheurs et consultants ? », Savoirs, vol. 16, no. 1, 2008, pp. 11-52.)

 

Un rapport à l’entreprise différent

Mais il y a une autre différence. Il s’agit du rapport qu’entretient le chercheur – consultant ou académique – avec le monde de l’entreprise. Ainsi, une entreprise préfèrera faire appel à un consultant dans la mesure où la recherche menée pourra être plus « contrôlable » et adaptée à la demande de l’entreprise. Cela signifie que les bureaux d’études sociologiques seraient plus « à l’aise » avec le monde de l’entreprise que ne le sont les universités.

 

Quelques différences

Les consultants savent la précarité de l’autorité des savoirs dont ils se réclament avec d’autant plus de force qu’elle n’est pas acquise. Les autres leur envient la facilité d’accès au terrain et bien sûr, leurs rémunérations. La distance entre ces deux mondes est également alimentée par les clients. La relation chercheurs/consultants se nourrit d’un rapport évidemment problématique entre « sciences sociales/entreprises » (Dauberville et al., 1996).

La question du terrain

Si les chercheurs ne veulent pas dépendre des entreprises comme clients, ils en ont besoin au moins comme terrain (Cousin, 2006). « La recherche en gestion me semble exiger un certain nombre d’observations de terrain, ce qui nécessite d’entrer en contact avec les professionnels ; mais pourquoi ces derniers se donneraient-ils la peine d’accueillir les chercheurs s’ils ne peuvent rien tirer d’une collaboration avec eux ? » (Berry, 2002b). Les entreprises restent maîtresses de leur ouverture à la recherche et leur réflexe de fermeture est une marque de leur méfiance à l’égard de finalités étrangères à leurs missions et tout particulièrement s’agissant de ces disciplines des sciences sociales qui ne se privent pas d’abriter des postures ouvertement critiques et radicales à leur encontre (Linhart, 1991). Accueillir un chercheur en sciences sociales, largement incontrôlable et irresponsable, « c’est se tirer une balle dans le pied ! ».

(Source : Baron, Xavier. « Quels dialogues entre chercheurs et consultants ? », Savoirs, vol. 16, no. 1, 2008, pp. 11-52.)

 

La temporalité

La temporalité reste aussi une des différences majeures entre les deux postures. La posture du sociologue académique, et celle du consultant. Car, si le sociologue universitaire a besoin de temps pour construire son objet de recherche voire pour financer sa recherche, le consultant répond à une commande qui, très souvent, fait l’objet d’une demande urgente.

« Enfin, beaucoup soulignent le décalage temporel des attentes. « Les chefs d’entreprises sont toujours très pressés ; il faut répondre tout de suite à leurs demandes. Le sociologue, lui, a besoin d’une année au moins pour dérouler sa méthode et identifier les problèmes d’une organisation […] » (Crozier, 2005). « Le dirigeant ne veut pas qu’on lui pose des problèmes, il attend des solutions, il a l’illusion que les consultants les ont toutes, et ceux-ci se comportent comme s’ils les avaient » (Venard, 1995). »

(Source : Baron, Xavier. « Quels dialogues entre chercheurs et consultants ? », Savoirs, vol. 16, no. 1, 2008, pp. 11-52.)

Enfin, il faut souligner que le contexte actuel marqué par un manque de postes d’enseignant chercheur et donc de sociologues dans le monde universitaire va peut-être influencer le paysage professionnel et la place du consulting dans les sciences humaines et sociales. En effet, on observe un développement d’un bureau d’études sociologiques qui propose des services spécifiques aux entreprises ou aux collectivités.

 

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